Waterloo
De vieux soldats m'ont dit : «Grâce à ta muse,
Le peuple enfin a des chants pour sa voix.
Ris du laurier qu'un parti te refuse ;
Consacre encor des vers Ă nos exploits.
Chante ce jour qu'invoquaient des perfides,
Ce dernier jour de gloire et de revers.»
J'ai répondu, baissant des yeux humides :
Son nom jamais n'attristera mes vers.
Qui, dans Athènes, au nom de Chéronée
MĂŞla jamais des sons harmonieux ?
Par la fortune Athènes détrônée
Maudit Philippe, et douta de ses dieux.
Un jour pareil voit tomber notre empire,
Voit l'Ă©tranger nous rapporter des fers,
Voit des français lâchement leur sourire.
Son nom jamais n'attristera mes vers.
Périsse enfin le géant des batailles !
Disaient les rois: peuples, accourez tous.
La liberté sonne ses funérailles ;
Par vous sauvés, nous règnerons par vous.
Le géant tombe, et ces nains sans mémoire
À l'esclavage ont voué l'univers.
Des deux côtés ce jour trompa la gloire.
Son nom jamais n'attristera mes vers.
Mais quoi ! Déjà les hommes d'un autre âge
De ma douleur se demandent l'objet.
Que leur importe en effet ce naufrage ?
Sur le torrent leur berceau surnageait.
Qu'ils soient heureux ! Leur astre qui se lève
Du jour funeste efface les revers.
Mais, dût ce jour n'être plus qu'un vain rêve,
Son nom jamais n'attristera mes vers.